Les
citations de Metal Gear Solid V
Après
avoir généreusement donné quatre-vingt-cinq heures de ma vie à Metal Gear Solid
V : The Phantom Pain, j’ai réalisé qu’il était peut-être temps d’ouvrir
les rideaux et voir si la troisième guerre mondiale n’avait pas éclaté. Rassurée
de voir un soleil lumineux dans le ciel bleu, c’est sans remord que je me pose
tranquillement devant mon pc pour écrire un petit article sur cet opus. En
effet, MGS V regorge de bons gros sujets puisqu’il en évoque environ une demi-tonne
allant de la philosophie du langage finissant sur la réalité en passant par
le culte de la personnalité et par une philosophie propre aux jeux-vidéos. Je
ne vais pas pouvoir évoquer tout ça dans cet article parce qu’il serait trop
long alors on va aborder le jeu au travers des deux citations qu’il propose,
une de Cioran et l’autre de Nietzsche qui sont deux gars que j’aime de tout mon
cœur. Peut-être qu’un jour je ferais un autre article pour développer tous les
points que je vais omettre ici. De plus cher lecteur innocent, je te
préviens, à partir de maintenant on va spoiler sans vergogne alors si tu n’y as
pas joué ou que tu ne l’a pas fini, mieux vaut t’arrêter, poser les armes et me
tourner le dos pour aller réfléchir en Alaska.
Pour
les autres, froncez les sourcils, affichez un air badass, portez vos
combinaisons moulantes d’espion et suivez Big Boss.
"J'ai mis mon plus beau masque de Zorro" |
« On n’habite
pas un pays, on habite une langue. Une patrie c’est cela et rien d’autre. »
- Emil Cioran
Si
MGS V commence bien c’est qu’il démarre sur les chapeaux de roues avec une
citation de mon philosophe favori (rien que ça). Alors ce cher Emil je l’ai
déjà évoqué rapidement dans quelques articles précédents donc je ne vais pas m’étaler
dans sa présentation. Faut retenir que ce mec était roumain mais il est parti
faire ses études à Paris sauf qu’il a dû y rester parce que le régime installé
en Roumanie après la seconde guerre mondiale était communiste et lui a interdit
de rentrer. Cioran va donc abandonner petit à petit la langue Roumaine (vous
voyez, déjà on parle de l’importance de la langue restez concentré) pour le
français. La plupart de ses livres sont des recueils d’aphorismes (genre des citations
qu’on retrouve sur evene) alors ça se lit assez vite et je ne saurais que trop
vous le conseiller tellement c’est incroyable. Je le vend un peu ce petit gars
parce qu’il est pas très connu et qu’il est pourtant fort intelligent.
Si
le jeu commence sur cette citation, c’est que MGS V a toute son intrigue (ou
presque) centrée sur la langue, ses dangers, son importance. Rappelons que le
méchant du premier chapitre, Skull Face a pour dessein de tuer tous ceux qui
parlent anglais, rien que ça. Le petit discours qu’il déclame alors qu’on fait
une balade en voiture dans le plus grand des calmes expose tous les enjeux. La
langue a une importance plus immense que ce que l’on pense et on peut déjà lui
trouver deux fonctions majeures : elle structure la pensée et elle forme
une appartenance.
« Avec chaque
changement, j’ai moi aussi changé. Mes pensées, ma personnalité, ma vision du
bien et du mal… » Dit Skull Face. On peut
légitimement être perplexe face à cette importance donnée à la langue mais, il
s’avère que le système de signes qu’est le langage est ce qui nous fabrique
entièrement. Lorsqu’on pense, qu’on réfléchit, qu’on veut développer des idées,
on est limité par les mots, encadré par notre langue. Le langage n’existe pas,
seules les langues existent. Quand tu évoques un simple mot, tu l’exprime
chargé de tout son sens social et historique, il n’est pas flottant mais ancré
dans la société. Emile Benveniste (à croire que ce prénom incite à ce genre de
réflexions) un linguiste français du XXe siècle explique dans ses Problèmes de linguistique générale que
la pensée et le langage se créent en même temps puisque le langage inscrit les
choses dans le réel et penser c’est justement reproduire ce réel pour soi.
Ainsi la langue est plus influente qu’on ne le croit parce qu’elle crée sens,
symboles donc réalité. Et ces symboles ne sont pas les mêmes dans toutes les
langues voilà pourquoi certains mots n’ont pas d’équivalence d’une langue à une
autre. « On habite une langue »
et l’on notera que les pays parlants les mêmes langues ont des ressemblances
mine de rien : L’Angleterre et les Etats-Unis, sont des pays où, même si
ils n’étaient pas parfaits, des régimes parlementaires se sont mis en
place bien plus tôt dans l’histoire qu’en France (qui s’est inspirée d’eux pour
sa révolution) et, paradoxalement, ce sont aussi deux pays plus aptes au « culte »
de leur dirigeant : le président aux USA doit être parfaitement
transparent envers son peuple et les anglais ont leur Reine. Peut-être que j’exagère
un peu mais vous comprenez l’idée que langue = pensée et culture, qu’on le veuille
ou non.
Ainsi
Skull Face est tout colère parce qu’on lui a volé sa pensée mais en plus de ça
il accuse Zero de vouloir contrôler le monde avec l’anglais. Parce que oui, si
une langue forge une culture, une langue pour tous unifie et influence, d’où la
critique aujourd’hui même de l’hégémonie de l’anglais (comme quoi tout est lié
huhu). Ce n’est pas pour rien que lors de différentes révolutions qui se sont
déroulées en Europe aux XVIIIe et XIX siècles, l’une des idées première était de
codifier parfaitement une langue pour affirmer un langage national et ainsi
légitimer et unifier un peuple.
Voilà
pourquoi notre grand méchant au visage assez effrayant ne veut pas exterminer
un pays mais la langue qu’il exporte parce qu’avec celle-ci il exporte pensées,
idéaux, culture et unification. La langue que nous parlons nous forme et on
comprend ainsi pourquoi Skull Face parle de « la peine à perdre sa propre langue » en écho à Cioran qui dans
une lettre évoquait le « drame d’écrire
dans une langue qui n’est pas la [sienne] ».
#JeSuisBigBoss |
« Les faits
n’existent pas, il n’y a que des interprétations. » - Friedrich Nietzsche
Pour
commencer, essayez de prononcer le nom de ce type tout haut, très vite, en
boucle, vous allez voir c’est hyper difficile. Friedrich Nietzsche a réussi l’exploit
d’avoir un prénom aussi dur à prononcer qu’à écrire. Nietzsche, l’homme à la
moustache fabuleuse (je vous jure, allez vérifier sur google), est un allemand plutôt
famous donc pas besoin d’une présentation détaillée. Il est aujourd’hui encore
très influent dans les philosophies contemporaines et a notamment beaucoup
influencé Cioran (à croire que c’est fait exprès) avec le nihilisme (cf articlesur Mad Max).
Cette
citation c’est un peu : « Ahah
je vous ai encore bien baisé » - Hideo Kojima. Parce qu’une nouvelle
fois, l’auteur de ce jeu a joué avec nos perceptions, nous a fait voir des
choses pour finalement nous dire qu’on a été un peu bête de tout croire comme
ça et qu’on a interprété seulement ce qu’on a vu. Ici, l’idée que j’expliquais
pour Metal Gear Solid 2 est largement reprise bien que cette fois ce n’est plus
sous la forme de simulations mais d’interprétations ce qui n’est au fond pas si
différent. Si vous avez été attentif jusqu’ici, pensez au langage. Le langage,
c’est donné un sens à notre réel avec des symboles, des signes donc la langue
est une interprétation de ce que l’on voit. Ainsi la réalité comme on la voit
aujourd’hui ce n’est qu’interprétations, apparences : « Nous avons aboli le monde vrai : quel monde
restait-il ? Peut-être celui de l'apparence ?… Mais non ! En même temps que le
monde vrai, nous avons aussi aboli le monde des apparences ! » (Nietzsche).
Cette citation montre le paradoxe des faits, du réel : si le réel n’est qu’apparence,
l’apparence devient le réel. Et ça devient un peu mind fuck comme genre de
théorie. Cette idée est poursuivi par Baudrillard un français que j’ai déjà
largement évoqué pour MGS 2 mais qui est très utile aujourd’hui avec son
ouvrage Le crime parfait. « [Le réel] nous a été donné comme simulacre,
et le pire est d’y croire à défaut d’autre chose » écrit-il
poursuivant cette idée de manière encore plus extrémiste. On nous gave d’un
certain « réel » avec des images et c’est encore pire aujourd’hui
avec la télévision. Par exemple les journaux télévisés filment le réel, et
pourtant ils s’amusent à l’investir d’un sens qui déforme la réalité et donne l’impression
aux plus crédules d’entre nous que le monde est actuellement en pleine
apocalypse avec crimes, meurtres, viols, etc. Les faits n’existent plus, il n’y
a plus que l’interprétation que l’on a des images que l’on nous expose.
A
la fin Kojima, simule parfaitement cette idée. Durant tout le long nous avons
supposé être Big Boss et en fait non, ce n’était qu’un remplaçant. Coup dur n’est-ce
pas, on s’est laissé duper par les images, par la confiance aveugle en l’information.
Ça fait un peu réfléchir à l’influence qu’ont les images sur nous, et c’est le
même genre de réflexions que propose MGS 2 ou en un sens Bioshock premier du
nom (mais ça on le développera un autre jour je le promets). A quel point la
réalité est-elle déformée par la langue, les images, la culture, ses propres
sentiments ? Existe-t-il une réalité en dehors de tout ça ?
Metal
Gear Solid V est donc un jeu qui malgré ses défauts évidents m’a beaucoup plu
par son intelligence (et puis bon c’est du MGS alors quoi qu’il advienne c’est
le meilleur jeu de l’année cqfd). Une nouvelle fois il s’intéresse à la
manipulation dans le sens du langage mais aussi dans la réalité et cela est appuyé
par sa réflexion que je n’ai pas développée ici sur le culte de la personnalité
envers Big Boss à Mother Base. En sortant du jeu il est bon de se demander
jusqu’où on peut se faire manipuler consciemment ou inconsciemment ou à quel
point la réalité qui nous entoure est vraie et pure ou disparue.
Nerd Anonyme