Une
machine peut-elle penser ?
Cette année, avec la
sortie de Chappie, Ex Machina, les nouveaux héros ou avengers
l’ère d’Ultron, on peut dire que l’un des thèmes les plus récurrents de
2015 est l’intelligence artificielle. Déjà, au début de l’année avec la sortie
d’Imitation game, sorte de biopic sur Alan Turing homme brillant ayant
fait quelques travaux sur le sujet on a pu sentir à quel point le propos tient
à cœur aux mentalités en ce moment. Bien entendu Her l’année dernière,
ou Blade Runner, A.I ou 2001, l’odyssée de l’espace bien
avant, prouvent l’interrogation de longue date de l’homme sur le sujet de la
machine qui pense. L’intelligence artificielle est un domaine qui interroge
beaucoup la physique et les sciences en général et ces branches étant l’exact
opposé de mon rayon de prédilection, je vais m’essayer à expliquer aujourd’hui
les enjeux philosophiques et non scientifiques de l’intelligence artificielle.
Surprise mother fucker |
L’intelligence
artificielle se base sur le principe qu’une machine puisse imiter un humain. Il
ne s’agit pas de faire un robot comme l’homme mais capable d’imiter l’homme ce
qui est sensiblement différent et prouve que l’intelligence artificiel, plus qu’un
fantasme est peut être plausible. Une machine peut-elle imiter un homme ? C’est
ce que nous montre le film Chappie de Neill Blomkamp au début lorsqu’au
cours de son éducation, Chappie le robot passe par une phase d’imitation. Ici,
on part du principe que pouvoir imiter l’homme c’est être une intelligence
artificielle et certains peuvent rétorquer que l’humain restera supérieur par
sa conscience. Le courant de
philosophie de l’esprit qu’est le computationnalisme soutient que le cerveau
humain est comme un ordinateur et que chaque état mental n’est que le résultat
d’un calcul suite au traitement d’une information. Cette philosophie se base
sur le principe que chaque réaction est due à une cause et que si on comprend
ses principes de causalité on peut imiter le cerveau humain. Si celui-ci n’est
que mathématiques, s’il ne s’agit que d’une relation de causalité, l’esprit
humain est imitable. Descartes avait déjà une approche de ce type avec sa
théorie de l’animal machine (il n’estimait pas cette idée pour l’homme mais que
pour l’animal). En effet selon Renée Descartes, philosophe du XVIIeme très
important dans l’histoire de la philosophie notamment parce qu’il est le
premier à avoir écrit un ouvrage en langue vernaculaire et non en langue latine
en France, le comportement animal ne répond qu’à quelques mécanismes
décelables. La Mettrie, autre français, un siècle plus tard radicalisera cette
thèse en parlant d’un homme-machine. Ainsi il prône la méthode empirique, idée
selon laquelle toute connaissance est le fruit d’expériences. L’idée de La Mettrie
rapportée au monde réel soutient donc la possibilité de faire d’une machine l’imitation
parfaite d’un humain : il lui suffit de faire des expériences à l’image de
l’OS1 dans le film Her qui découvre des sentiments en expérimentant des
choses.
Pourtant bien des
critiques s’opposent fermement à la possibilité de l’homme machine. Reparlons
de Descartes que nous avions bien vite survolé. Il parlait d’un animal machine
mais pas d’un homme machine car selon lui il existe une dualité chez l’être
humain : l’âme et le corps. L’homme possède une âme qui est elle-même une
substance pensante (d’où la fameuse phrase « je pense donc je suis »).
Cette âme est là dès le primitif de l’homme : grossièrement on peut
expliquer que certes nous nous développons grâce à nos expériences mais il
existe une substance à l’origine (notons que Descartes croyait très fort en
Dieu). S’il existe une âme, quelque chose d’unique à l’homme et bien on ne peut
créer l’équivalent. Hubert Dreyfus, philosophe américain contemporain, soutient
que l’intelligence artificielle n’est pas impossible mais s’oppose vivement aux
théories computationnalismes évoquées plus tôt et pour se faire il s’appuie
sur la phénoménologie et plus précisément sur Martin Heidegger (philosophe du
XXeme, incontournable dans l’histoire mais créateur de polémiques puisqu’il
avait quand même une carte du parti nazi). La phénoménologie se concentre elle
aussi sur les expériences vécues donc sur les phénomènes. Selon Heidegger, on
ne peut théoriser la vie, car plus que la réaction mécanique à certains
phénomènes l’homme est en capacité de comprendre ce qu’il fait et il possède un
certain instinct. Dreyfus reprend donc cette idée face aux computationnalistes
et argue que même si on peut établir des lois de comportements à partir de
causes on ne peut pas toujours en faire des principes absolus et le contexte
reste très important. Dans Her par exemple cela appuierai l’idée que le
robot ne pense pas : Samantha n’a pas d’identité propre elle ne fait qu’imiter
son premier possesseur sans comprendre.
La possibilité de l’intelligence
artificielle se base en réalité sur une certaine vision de l’esprit humain.
Mais ne pouvons-nous pas retourner le problème dans l’autre sens ? La
question est de savoir si une machine peut imiter l’homme mais est-ce que l’homme
peut devenir une machine ? C’est ce que déplore le philosophe français Jean
Baudrillard décédé récemment en parlant de l’homme virtuel qui pense de moins
en moins dans son texte « Xerox et l’infini ». Selon lui les machines
se différencient de l’homme car elles n’ont pas de « plaisir de vivre ».
Sauf que l’homme se collant aux images, devenant un handicapé par son entourage
technologique, perd petit à petit cette capacité et donne en spectacle son intelligence
aux machines. L’homme est devenu un écran. Devant se réduire aux capacités des
machines, sa vision est déformée et réduite par les possibilités de celles-ci
quand bien même il aurait été capable de les dépasser. Il n’y a plus une action
« qui ne désire être photographiée, filmée, enregistrée ». L’homme s’exorcise
dans la machine et devient donc la machine. Ainsi selon cette vision de la
modernité, l’homme en développant les machines en devient une à son tour et se
laisse assister par ce qu’il a créé le rendant encore plus neurasthénique. Pour
citer Her à nouveau, c’est un peu un personnage comme cela qu’est le
personnage principal : seul, entouré de machines et ne créant lien qu’avec
celle envers qui il a transmis son intelligence. Il se complet dans ce lui-même
qu’il a créé à travers Samantha et vie selon les contraintes d’une machine
depuis qu’il a entamé une relation avec elle (comme l’impossibilité de faire l’amour
par exemple). D’autres films de science-fiction mettent en évidence cette
frontière très floue qui peut découler du développement des machines : par
exemple le chef-d’œuvre qu’est Blade Runner pose un mystère quant à l’identité
du personnage joué par Harrison Ford : à la fin on ne sait pas s’il est un
homme ou une machine.
L’intelligence
artificielle est-elle plausible ? Tout dépend du point de vu objectif que
l’on a à propos de la conscience et des réactions humaines. L’intelligence artificielle
est aujourd’hui un fantasme humain qui inocule la culture mais il faudrait
aussi se demander ce que la course à la machine qui pense peut engendrer sur l’humanité.
A vouloir tout déléguer aux machines il pourrait arriver une déshumanisation
massive.
Nerd Anonyme
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