samedi 11 juillet 2015

Descartes achète un robot

Une machine peut-elle penser ?

Cette année, avec la sortie de Chappie, Ex Machina, les nouveaux héros ou avengers l’ère d’Ultron, on peut dire que l’un des thèmes les plus récurrents de 2015 est l’intelligence artificielle. Déjà, au début de l’année avec la sortie d’Imitation game, sorte de biopic sur Alan Turing homme brillant ayant fait quelques travaux sur le sujet on a pu sentir à quel point le propos tient à cœur aux mentalités en ce moment. Bien entendu Her l’année dernière, ou Blade Runner, A.I ou 2001, l’odyssée de l’espace bien avant, prouvent l’interrogation de longue date de l’homme sur le sujet de la machine qui pense. L’intelligence artificielle est un domaine qui interroge beaucoup la physique et les sciences en général et ces branches étant l’exact opposé de mon rayon de prédilection, je vais m’essayer à expliquer aujourd’hui les enjeux philosophiques et non scientifiques de l’intelligence artificielle.

Surprise mother fucker
L’intelligence artificielle se base sur le principe qu’une machine puisse imiter un humain. Il ne s’agit pas de faire un robot comme l’homme mais capable d’imiter l’homme ce qui est sensiblement différent et prouve que l’intelligence artificiel, plus qu’un fantasme est peut être plausible. Une machine peut-elle imiter un homme ? C’est ce que nous montre le film Chappie de Neill Blomkamp au début lorsqu’au cours de son éducation, Chappie le robot passe par une phase d’imitation. Ici, on part du principe que pouvoir imiter l’homme c’est être une intelligence artificielle et certains peuvent rétorquer que l’humain restera supérieur par sa conscience. Le courant de philosophie de l’esprit qu’est le computationnalisme soutient que le cerveau humain est comme un ordinateur et que chaque état mental n’est que le résultat d’un calcul suite au traitement d’une information. Cette philosophie se base sur le principe que chaque réaction est due à une cause et que si on comprend ses principes de causalité on peut imiter le cerveau humain. Si celui-ci n’est que mathématiques, s’il ne s’agit que d’une relation de causalité, l’esprit humain est imitable. Descartes avait déjà une approche de ce type avec sa théorie de l’animal machine (il n’estimait pas cette idée pour l’homme mais que pour l’animal). En effet selon Renée Descartes, philosophe du XVIIeme très important dans l’histoire de la philosophie notamment parce qu’il est le premier à avoir écrit un ouvrage en langue vernaculaire et non en langue latine en France, le comportement animal ne répond qu’à quelques mécanismes décelables. La Mettrie, autre français, un siècle plus tard radicalisera cette thèse en parlant d’un homme-machine. Ainsi il prône la méthode empirique, idée selon laquelle toute connaissance est le fruit d’expériences. L’idée de La Mettrie rapportée au monde réel soutient donc la possibilité de faire d’une machine l’imitation parfaite d’un humain : il lui suffit de faire des expériences à l’image de l’OS1 dans le film Her qui découvre des sentiments en expérimentant des choses.


Pourtant bien des critiques s’opposent fermement à la possibilité de l’homme machine. Reparlons de Descartes que nous avions bien vite survolé. Il parlait d’un animal machine mais pas d’un homme machine car selon lui il existe une dualité chez l’être humain : l’âme et le corps. L’homme possède une âme qui est elle-même une substance pensante (d’où la fameuse phrase « je pense donc je suis »). Cette âme est là dès le primitif de l’homme : grossièrement on peut expliquer que certes nous nous développons grâce à nos expériences mais il existe une substance à l’origine (notons que Descartes croyait très fort en Dieu). S’il existe une âme, quelque chose d’unique à l’homme et bien on ne peut créer l’équivalent. Hubert Dreyfus, philosophe américain contemporain, soutient que l’intelligence artificielle n’est pas impossible mais s’oppose vivement aux théories computationnalismes évoquées plus tôt et pour se faire il s’appuie sur la phénoménologie et plus précisément sur Martin Heidegger (philosophe du XXeme, incontournable dans l’histoire mais créateur de polémiques puisqu’il avait quand même une carte du parti nazi). La phénoménologie se concentre elle aussi sur les expériences vécues donc sur les phénomènes. Selon Heidegger, on ne peut théoriser la vie, car plus que la réaction mécanique à certains phénomènes l’homme est en capacité de comprendre ce qu’il fait et il possède un certain instinct. Dreyfus reprend donc cette idée face aux computationnalistes et argue que même si on peut établir des lois de comportements à partir de causes on ne peut pas toujours en faire des principes absolus et le contexte reste très important. Dans Her par exemple cela appuierai l’idée que le robot ne pense pas : Samantha n’a pas d’identité propre elle ne fait qu’imiter son premier possesseur sans comprendre.

La possibilité de l’intelligence artificielle se base en réalité sur une certaine vision de l’esprit humain. Mais ne pouvons-nous pas retourner le problème dans l’autre sens ? La question est de savoir si une machine peut imiter l’homme mais est-ce que l’homme peut devenir une machine ? C’est ce que déplore le philosophe français Jean Baudrillard décédé récemment en parlant de l’homme virtuel qui pense de moins en moins dans son texte « Xerox et l’infini ». Selon lui les machines se différencient de l’homme car elles n’ont pas de « plaisir de vivre ». Sauf que l’homme se collant aux images, devenant un handicapé par son entourage technologique, perd petit à petit cette capacité et donne en spectacle son intelligence aux machines. L’homme est devenu un écran. Devant se réduire aux capacités des machines, sa vision est déformée et réduite par les possibilités de celles-ci quand bien même il aurait été capable de les dépasser. Il n’y a plus une action « qui ne désire être photographiée, filmée, enregistrée ». L’homme s’exorcise dans la machine et devient donc la machine. Ainsi selon cette vision de la modernité, l’homme en développant les machines en devient une à son tour et se laisse assister par ce qu’il a créé le rendant encore plus neurasthénique. Pour citer Her à nouveau, c’est un peu un personnage comme cela qu’est le personnage principal : seul, entouré de machines et ne créant lien qu’avec celle envers qui il a transmis son intelligence. Il se complet dans ce lui-même qu’il a créé à travers Samantha et vie selon les contraintes d’une machine depuis qu’il a entamé une relation avec elle (comme l’impossibilité de faire l’amour par exemple). D’autres films de science-fiction mettent en évidence cette frontière très floue qui peut découler du développement des machines : par exemple le chef-d’œuvre qu’est Blade Runner pose un mystère quant à l’identité du personnage joué par Harrison Ford : à la fin on ne sait pas s’il est un homme ou une machine.


L’intelligence artificielle est-elle plausible ? Tout dépend du point de vu objectif que l’on a à propos de la conscience et des réactions humaines. L’intelligence artificielle est aujourd’hui un fantasme humain qui inocule la culture mais il faudrait aussi se demander ce que la course à la machine qui pense peut engendrer sur l’humanité. A vouloir tout déléguer aux machines il pourrait arriver une déshumanisation massive.


Nerd Anonyme

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