mardi 2 juin 2015

Platon joue à Metal Gear Solid 2 dans sa caverne

Le sens de Metal Gear Solid 2

Comme je pouvais l’expliquer dans mon premier article, le jeu vidéo est un art. Ainsi, il est doté d’un rôle, celui de transmettre un discours. Par discours j’entends une réflexion sur l’être humain, sur la société en général, une réflexion qui peut parfois s’accompagner d’une critique ou n’être qu’une simple imitation. Si je prends l’exemple de Mario Bross, c’est un jeu qui ne reprend que le schéma du sauvetage de la demoiselle en détresse qui est une imitation de notre société dans laquelle les stéréotypes et notre culture placent l’homme comme sauveur de la femme car il est plus fort plus courageux, etc. Dans ce jeu il ne s’agit que d’une imitation et la reprise d’un schéma si connu de tous permet de rendre le divertissement plus accessible. Mais parfois (même souvent aujourd’hui), on trouve des jeux qui vont plus loin dans le procédé et tentent d’installer une vraie réflexion, parfois inspirée des plus grands. Parmi tous ces jeux, prenons le cas de ce chef-d’œuvre qu’est Metal Gear Solid 2.

Metal Gear Solid 2 : Sons of liberty, est un jeu absolument génial si ce n’est grandiose mais ici il ne s’agit pas de le vanter mais d’extraire tout ce qui en fait sa puissance philosophique. Pour ce faire nous allons surtout nous atteler à la fin qui est le puissant moment de révélation. Donc, si vous n’y avez pas joué et que vous comptez le faire, arrêtez-vous là sauf si ça ne vous dérange pas d’être spoilé bien salement (soyez prudent un jour ce sera à propos de game of thrones et vous ferez moins les malins). Sinon pour les autres, en avant.

Tu la vois venir ma grande portée philosophique ?

La fin de Metal Gear donc, c’est ce moment assez difficile où l’on découvre que notre avatar, Raiden, est en fait manipulé depuis le début. On comprend que l’on joue à une simulation qui elle-même est une simulation (simulationception).  Même si ce mécanisme est assez courant aujourd’hui, quand le jeu est sorti, cela ne l’était pas tellement (dans le cadre des jeux-vidéos parce qu’en ce qui concerne les autres arts, le cinéma surtout, le concept est déjà bien usé). La simulation est, déjà, le premier enjeu qu’il faudrait aborder pour l’explication de ce dénouement notamment à partir de cette phrase : « Dans notre monde, la réalité absolue n’existe pas » prononcée par Solid Snake. Qu’est-ce que ça veut dire grand dieu ? En fait nous vivons dans une sorte de matrice. Bien entendu je n’utilise pas ce terme au hasard puisque Matrix reprend exactement la même problématique. Aujourd’hui nous avons un problème d’apport avec le réel et le jeu essaie d’amener une réflexion sur le fait que nous vivons dans une simulation tout le temps. Baudrillard, philosophe français contemporain écrivait dans son livre simulacres et simulation que « le réel n’existe plus ». Dit comme ça, je l’accorde, ça fait un peu théorie du complot mais laissez-moi développer la chose. Cette réflexion s’inscrit dans une logique contemporaine au sein de laquelle nous sommes sans cesse assaillit d’images, de modèles, de publicités. Ces images nous montrent des modes de vie, des schémas comme la famille parfaite de la pub Ricoré ou « la fille dans la voiture ». La vie moderne est une simulation de ces modèles que l’on nous montre. Comme ça c’est un peu grossier et je t’imagine bien toi derrière ton écran en train de t’exclamer « mais je ne suis pas dupe ! ». Bien sûr que si tu l’es. Prenons un exemple bien précis, celui de la marque Abercrombie. Quelqu’un peut-il m’expliquer pourquoi leurs fringues sont si chères ? Parce que dans la pub c’est un mec musclé en noir et blanc que tu vois, parce que le magasin il faut faire la queue pour y rentrer et que le bâtiment est beau et que y’a de la musique, etc. La marque te fait croire que porter son vêtement c’est la classe, que c’est un signe de richesse donc elle te vend un haut en coton à prix d’or alors que, entre nous, y-a-t-il une grande différence entre ton haut Abercrombie et celui petit bateau à part le nom de la marque ? Non, mais on simule le fait qu’il y ait une différence. C’est un peu la problématique du monde sensible de Platon (l’un des philosophes grecs famous avec la barbe la plus longue, un peu style Gandalf). Nous vivons selon lui dans le monde sensible. Le monde sensible c’est cette réalité corrompue par les sens, par les apparences et les croyances et, à ça, s’oppose le monde intelligible qui lui est fait des réalités immuables et régit par la Raison. Le monde intelligible peut être atteint mais par peu et finalement nous demeurons tous ou presque dans le monde sensible. (Mon explication étant grossière pour ne pas trop m’étaler, je t’invite à te cultiver en lisant cette allégorie de la caverne qui se trouve dans La République parce que si ce n’est pas déjà fait tu devrais avoir honte). Si le jeu transmet si bien cette question de simulation c’est en brisant sans cesse le quatrième mur avec des réflexions comme « il faut éteindre la console maintenant » ou en plaçant ton propre pseudo sur les plaques que regarde Raiden. En s’adressant à son joueur,  le jeu demande très simplement : Qui simule ? L’avatar dans un jeu représente le fantasme de toute puissance mais si même lui est dupé, que penser de Moi ?


Le deuxième enjeu de Metal Gear 2 est bien entendu celui de la liberté (avec comme sous-titre sons of liberty on s’y attendait presque). Ici est évoquée la thèse de la liberté dans un contexte (puisque les patriotes créent le contexte). Spontanément, on peut se dire que si on est encadré il n’y a justement aucune liberté et pourtant il pourrait s’agir de l’inverse. Par contexte, j’entends l’ensemble des lois ou des accords moraux encadrant nos vies. Rousseau dans Du contrat social (un peu la bible des professeurs de philosophie) prétend qu’avec le pacte social, donc l’instauration d’une constitution, nous perdons notre liberté naturelle mais nous gagnons notre liberté civile et morale. La liberté naturelle est celle dont la seule limite est la force propre à chaque individu donc elle privilégie la loi du plus fort. La liberté civile c’est l’obéissance à la loi de notre plein gré et la liberté morale c’est de ne pas être possédé par ses pulsions. Car les pulsions ici sont l’inverse de la liberté comme le considérait déjà le personnage de Socrate (mit en scène) dans le Gorgias de Platon : Il argue contre Calliclès que l’homme doit s’imposer un cadre moral (le contexte) même individuellement car le désir, notion insatiable, est synonyme de servitude. Alors quelle est la vraie liberté ? Celle naturelle lorsque l’on est mue par la force et le désir ou celle morale lorsque l’on vit en se maintenant et en suivant les règles ? Dans le jeu, Solidus Snake réclame dissolution du contexte par une révolution. A contrario Solid Snake semble pouvoir s’en contenter. Parce que, en fait, on est libre au sein du contexte. Ce jeu défend cette position car finalement n’est-ce pas l’essence même du jeu vidéo ? On est contraint par un contexte, une carte, une ligne directrice mais on est libre de prendre un chemin plutôt qu’un autre, esquiver ce coup ou le prendre. A la fin, Solid Snake appelle à la liberté en disant que celle-ci se trouve dans la transmission et la quête de soi. Mais cela peut-il se faire sans le contrôle des folies humaines par les patriotes ? Le problème c’est que le contexte est géré par nos gouvernements et que, pour le maintenir, il faut surveiller. Ainsi apparaissent des lois comme, dans la réalité, la loi sur le renseignement internet. On peut alors se demander s’il s’agit ici d’un acte liberticide ou d’une volonté de protéger le contexte.

Finalement, Metal Gear Solid 2 se place parfaitement dans les problématiques actuelles. Il englobe le problème d’une enfoncée dans la simulation par les réseaux sociaux ou les publicités et pose de réelles questions sur l’essence même de la liberté en se demandant jusqu’où peut aller le contexte encadrant la vie sociale. A partir de quand le contexte, participant à la simulation, détruit-il la liberté qu’il devrait garantir ?


Nerd Anonyme

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire