Le
sens de Metal Gear Solid 2
Comme je pouvais
l’expliquer dans mon premier article, le jeu vidéo est un art. Ainsi, il est
doté d’un rôle, celui de transmettre un discours. Par discours j’entends une
réflexion sur l’être humain, sur la société en général, une réflexion qui peut
parfois s’accompagner d’une critique ou n’être qu’une simple imitation. Si je
prends l’exemple de Mario Bross, c’est un jeu qui ne reprend que le schéma du
sauvetage de la demoiselle en détresse qui est une imitation de notre société
dans laquelle les stéréotypes et notre culture placent l’homme comme sauveur de
la femme car il est plus fort plus courageux, etc. Dans ce jeu il ne s’agit que
d’une imitation et la reprise d’un schéma si connu de tous permet de rendre le
divertissement plus accessible. Mais parfois (même souvent aujourd’hui), on
trouve des jeux qui vont plus loin dans le procédé et tentent d’installer une vraie
réflexion, parfois inspirée des plus grands. Parmi tous ces jeux, prenons le
cas de ce chef-d’œuvre qu’est Metal Gear Solid 2.
Metal Gear Solid 2 :
Sons of liberty, est un jeu absolument génial si ce n’est grandiose mais ici il
ne s’agit pas de le vanter mais d’extraire tout ce qui en fait sa puissance
philosophique. Pour ce faire nous allons surtout nous atteler à la fin qui est
le puissant moment de révélation. Donc, si vous n’y avez pas joué et que vous
comptez le faire, arrêtez-vous là sauf si ça ne vous dérange pas d’être spoilé
bien salement (soyez prudent un jour ce sera à propos de game of thrones et
vous ferez moins les malins). Sinon pour les autres, en avant.
Tu la vois venir ma grande portée philosophique ? |
La fin de Metal Gear
donc, c’est ce moment assez difficile où l’on découvre que notre avatar,
Raiden, est en fait manipulé depuis le début. On comprend que l’on joue à une
simulation qui elle-même est une simulation (simulationception). Même si ce mécanisme est assez courant
aujourd’hui, quand le jeu est sorti, cela ne l’était pas tellement (dans le
cadre des jeux-vidéos parce qu’en ce qui concerne les autres arts, le cinéma
surtout, le concept est déjà bien usé). La simulation est, déjà, le premier
enjeu qu’il faudrait aborder pour l’explication de ce dénouement notamment à
partir de cette phrase : « Dans notre monde, la réalité absolue
n’existe pas » prononcée par Solid Snake. Qu’est-ce que ça veut dire grand
dieu ? En fait nous vivons dans une sorte de matrice. Bien entendu je
n’utilise pas ce terme au hasard puisque Matrix reprend exactement la
même problématique. Aujourd’hui nous avons un problème d’apport avec le réel et
le jeu essaie d’amener une réflexion sur le fait que nous vivons dans une
simulation tout le temps. Baudrillard, philosophe français contemporain écrivait
dans son livre simulacres et simulation que « le réel n’existe
plus ». Dit comme ça, je l’accorde, ça fait un peu théorie du complot mais
laissez-moi développer la chose. Cette réflexion s’inscrit dans une logique
contemporaine au sein de laquelle nous sommes sans cesse assaillit d’images, de
modèles, de publicités. Ces images nous montrent des modes de vie, des schémas
comme la famille parfaite de la pub Ricoré ou « la fille dans la
voiture ». La vie moderne est une simulation de ces modèles que l’on nous
montre. Comme ça c’est un peu grossier et je t’imagine bien toi derrière ton
écran en train de t’exclamer « mais je ne suis pas dupe ! ».
Bien sûr que si tu l’es. Prenons un exemple bien précis, celui de la marque
Abercrombie. Quelqu’un peut-il m’expliquer pourquoi leurs fringues sont si
chères ? Parce que dans la pub c’est un mec musclé en noir et blanc que tu
vois, parce que le magasin il faut faire la queue pour y rentrer et que le
bâtiment est beau et que y’a de la musique, etc. La marque te fait croire que
porter son vêtement c’est la classe, que c’est un signe de richesse donc elle
te vend un haut en coton à prix d’or alors que, entre nous, y-a-t-il une grande
différence entre ton haut Abercrombie et celui petit bateau à part le nom de la
marque ? Non, mais on simule le fait qu’il y ait une différence. C’est un
peu la problématique du monde sensible de Platon (l’un des philosophes grecs famous avec la barbe la plus longue, un
peu style Gandalf). Nous vivons selon lui dans le monde sensible. Le monde
sensible c’est cette réalité corrompue par les sens, par les apparences et les
croyances et, à ça, s’oppose le monde intelligible qui lui est fait des
réalités immuables et régit par la Raison. Le monde intelligible peut être
atteint mais par peu et finalement nous demeurons tous ou presque dans le monde
sensible. (Mon explication étant grossière pour ne pas trop m’étaler, je
t’invite à te cultiver en lisant cette allégorie de la caverne qui se trouve dans La République parce que si ce n’est pas
déjà fait tu devrais avoir honte). Si le jeu transmet si bien cette question de
simulation c’est en brisant sans cesse le quatrième mur avec des réflexions
comme « il faut éteindre la console maintenant » ou en plaçant ton
propre pseudo sur les plaques que regarde Raiden. En s’adressant à son
joueur, le jeu demande très
simplement : Qui simule ? L’avatar dans un jeu représente le fantasme
de toute puissance mais si même lui est dupé, que penser de Moi ?
Le deuxième enjeu de
Metal Gear 2 est bien entendu celui de la liberté (avec comme sous-titre sons of liberty on s’y attendait
presque). Ici est évoquée la thèse de la liberté dans un contexte (puisque les
patriotes créent le contexte). Spontanément, on peut se dire que si on est
encadré il n’y a justement aucune liberté et pourtant il pourrait s’agir de
l’inverse. Par contexte, j’entends l’ensemble des lois ou des accords moraux
encadrant nos vies. Rousseau dans Du contrat social (un peu la bible des
professeurs de philosophie) prétend qu’avec le pacte social, donc
l’instauration d’une constitution, nous perdons notre liberté naturelle mais
nous gagnons notre liberté civile et morale. La liberté naturelle est celle
dont la seule limite est la force propre à chaque individu donc elle privilégie
la loi du plus fort. La liberté civile c’est l’obéissance à la loi de notre plein
gré et la liberté morale c’est de ne pas être possédé par ses pulsions. Car les
pulsions ici sont l’inverse de la liberté comme le considérait déjà le
personnage de Socrate (mit en scène) dans le Gorgias de Platon : Il
argue contre Calliclès que l’homme doit s’imposer un cadre moral (le contexte)
même individuellement car le désir, notion insatiable, est synonyme de
servitude. Alors quelle est la vraie liberté ? Celle naturelle lorsque
l’on est mue par la force et le désir ou celle morale lorsque l’on vit en se
maintenant et en suivant les règles ? Dans le jeu, Solidus Snake réclame dissolution
du contexte par une révolution. A
contrario Solid Snake semble pouvoir s’en contenter. Parce que, en fait, on
est libre au sein du contexte. Ce jeu défend cette position car finalement
n’est-ce pas l’essence même du jeu vidéo ? On est contraint par un
contexte, une carte, une ligne directrice mais on est libre de prendre un
chemin plutôt qu’un autre, esquiver ce coup ou le prendre. A la fin, Solid Snake
appelle à la liberté en disant que celle-ci se trouve dans la transmission et
la quête de soi. Mais cela peut-il se faire sans le contrôle des folies
humaines par les patriotes ? Le problème c’est que le contexte est géré
par nos gouvernements et que, pour le maintenir, il faut surveiller. Ainsi
apparaissent des lois comme, dans la réalité, la loi sur le renseignement
internet. On peut alors se demander s’il s’agit ici d’un acte liberticide ou d’une
volonté de protéger le contexte.
Finalement, Metal Gear
Solid 2 se place parfaitement dans les problématiques actuelles. Il englobe le
problème d’une enfoncée dans la simulation par les réseaux sociaux ou les
publicités et pose de réelles questions sur l’essence même de la liberté en se
demandant jusqu’où peut aller le contexte encadrant la vie sociale. A partir de
quand le contexte, participant à la simulation, détruit-il la liberté qu’il
devrait garantir ?
Nerd Anonyme
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